La question de facturer l'électricité au locataire suscite de nombreuses interrogations chez les propriétaires bailleurs. Contrairement à certaines idées reçues, l'électricité n'est pas automatiquement considérée comme une charge récupérable dans le cadre d'une location.
La législation française encadre strictement cette pratique, particulièrement depuis l'ouverture du marché à la concurrence qui garantit au locataire le droit de choisir son fournisseur. Entre interdictions de principe et exceptions, les règles varient selon qu'il s'agisse d'une location classique, meublée ou de courte durée.
Cet article fait le point sur le cadre légal, les méthodes autorisées et les solutions pratiques concernant la facturation de l'énergie électrique dans une relation locative.
En matière de charges locatives, la législation française établit un principe fondamental : l'électricité consommée dans un appartement n'est pas considérée comme récupérable sur le locataire. Cette règle s'inscrit dans un cadre plus large visant à protéger les droits des consommateurs sur le marché de l'énergie, notamment depuis l'ouverture à la concurrence en 2007 qui a mis fin au monopole d'Électricité de France pour le service public de distribution.
Le décret n°87-713 du 26 août 1987 définit de façon exhaustive la liste des charges récupérables par le propriétaire bailleur, et n'y inclut pas la fourniture d'électricité dans les logements privés. Seule l'électricité des parties communes d'un espace immobilier figure parmi les dépenses pouvant être légitimement répercutées, contrairement aux charges non récupérables.
Note : Ce décret liste précisément toutes les dépenses pouvant être répercutées sur le locataire. Pour comprendre l'ensemble de ces charges en immeuble collectif, consultez notre guide détaillé sur les charges locatives en copropriété.
Le Code de l'énergie, dans son article L331-1, consacre le droit pour chaque consommateur de choisir son fournisseur d'énergie électrique ou de gaz. Ce droit fondamental s'oppose directement à toute pratique où le propriétaire s'interposerait entre le fournisseur et le consommateur final lors de la signature du bail de location.
La refacturation d'électricité au locataire par le propriétaire est donc interdite, sauf s'il dispose d'une autorisation écrite du concessionnaire. Le Médiateur national de l'énergie a confirmé cette position dans sa recommandation n°2013-0861, précisant que la revente d'électricité est interdite, sauf option autorisée par l'autorité administrative.
Cette interdiction vise plusieurs objectifs :
Garantir au locataire la liberté de choisir sa source d'énergie
Permettre l'accès aux tarifs réglementés ou aux offres de marché sans frais supplémentaires
Assurer la transparence dans la relation locative, y compris en location meublée
Maintenir l'effet de l'ouverture du marché à la concurrence
La jurisprudence a renforcé ce cadre légal, notamment avec l'arrêt décisif de la Cour de cassation du 2 octobre 2013 (pourvoi n°12-18168). Dans cette décision, la plus haute juridiction française a déclaré nulle une clause de contrat de bail prévoyant la refacturation de l'électricité, la considérant comme une revente d'électricité déguisée et donc illégale sans autorisation spécifique.
Toutefois, cette même décision apporte une nuance importante : le locataire ayant bénéficié d'une prestation d'électricité ne peut pas être totalement dispensé de payer. Si la clause est nulle, le locataire doit s'acquitter, sur le principe d'enrichissement sans cause, d'une indemnité correspondant à sa consommation réelle, distincte des frais d'abonnement au réseau électrique.
Cette position jurisprudentielle cherche ainsi un équilibre entre :
Le respect des dispositions légales sur la distribution d'énergie en France
L'équité dans les relations entre propriétaire bailleur et charge du locataire
La reconnaissance du service fourni, différent de celui lié à l'eau chaude ou au chauffage électrique
La prévention de situations où une personne pourrait utiliser l'installation électrique sans contrepartie
La nullité de la clause ne conduit donc pas à une gratuité de l'électricité, mais impose de connaître les solutions conformes au droit pour la mise en place d'un système respectant les intérêts de chacun.
Malgré l'interdiction de principe établie par la législation et confirmée par la jurisprudence, certaines situations permettent exceptionnellement au propriétaire bailleur de facturer l'électricité. Ces exceptions répondent généralement à des besoins spécifiques ou des configurations particulières du logement qui rendent difficile ou peu pertinente la souscription d'un contrat direct entre le locataire et le fournisseur d'énergie.
Parmi ces situations particulières figurent notamment :
Les locations de courte durée où la brièveté du séjour justifie un service global
Les logements dépourvus de compteur individuel rendant impossible la facturation directe
La chambre chez l'habitant où le locataire partage les équipements avec le propriétaire
Certaines formes de colocation avec un contrat unique pour l'ensemble du logement
Ces exceptions ne remettent pas en cause le principe général d'interdiction mais permettent de s'adapter à des réalités pratiques tout en préservant l'équité entre les parties.
Les locations meublées et saisonnières constituent la principale exception à l'interdiction de refacturation d'électricité. Cette particularité s'explique par plusieurs facteurs inhérents à ce type de location.
Premièrement, la courte durée caractéristique de ces séjours (de quelques jours à quelques mois) rend peu pertinente la démarche de mise en service et de résiliation d'un compteur électrique pour chaque locataire. Le coût et les délais administratifs associés seraient disproportionnés par rapport à la durée d'occupation.
Deuxièmement, ces locations répondent à un besoin de service "clé en main" où le locataire recherche avant tout la simplicité et l'absence de démarches administratives. La fourniture de l'énergie électrique fait partie intégrante de la prestation globale attendue, au même titre que le mobilier ou les équipements ménagers.
Astuce : Si vous lancez une activité de location meublée, n'oubliez pas de vérifier si votre commune exige un permis de louer. Renseignez-vous sur le prix d'un permis de louer pour anticiper ce coût dans votre budget.
Dans la pratique, plusieurs approches sont couramment utilisées :
L'inclusion d'un forfait électricité dans le montant du loyer (charges comprises)
La facturation d'un montant forfaitaire déterminé à l'avance
Plus rarement, la facturation au réel avec relevé du compteur à l'entrée et à la sortie
Pour les locations saisonnières très courtes (moins d'un mois), l'électricité est presque systématiquement incluse dans un prix global, tandis que pour les locations meublées de plusieurs mois, un système de provision mensuelle avec régularisation annuelle est souvent privilégié.
Les configurations de logement partagé posent également des questions spécifiques concernant la facturation de l'électricité. Dans ces situations, la gestion de l'énergie s'organise différemment selon la nature exacte de la location.
Dans le cas d'une chambre chez l'habitant, le propriétaire occupant conserve généralement le contrat d'électricité à son nom et intègre une participation aux charges dans le loyer demandé. Cette pratique se justifie par l'impossibilité technique d'isoler précisément la consommation électrique de la chambre du reste du logement, en l'absence de compteur individuel dédié.
Pour les colocations, plusieurs configurations sont possibles :
Un contrat unique au nom d'un des colocataires, avec répartition interne des coûts
Un contrat au nom du propriétaire avec refacturation équitable aux colocataires
Des compteurs divisionnaires permettant d'individualiser les consommations par chambre
A noter : La gestion de l'électricité en colocation diffère également selon que le bien soit en copropriété ou en monopropriété. Découvrez les spécificités des charges locatives en monopropriété où le propriétaire a une autonomie complète dans la gestion.
La jurisprudence reconnaît généralement la légitimité de ces arrangements dans le contexte particulier des logements partagés, à condition que le système adopté soit transparent, équitable et clairement stipulé dans le contrat de bail.
La colocation avec bail unique présente une situation intermédiaire où le propriétaire peut facturer l'électricité aux colocataires solidairement responsables, à charge pour eux de se répartir ensuite les coûts. Cette pratique est d'autant plus acceptée que la facture d'électricité est établie au réel, sans marge bénéficiaire pour le bailleur, et qu'elle répond à une nécessité pratique liée à la configuration des lieux.
Bon à savoir : Avant de mettre en place un système de facturation d'électricité, assurez-vous d'avoir rempli toutes vos obligations légales. Dans certaines zones, vous devez obtenir une autorisation préalable. Découvrez quand faut-il demander le permis pour mettre en location pour éviter tout retard dans votre mise en location.
Face aux contraintes juridiques entourant la facturation de l'électricité dans le contexte locatif, plusieurs approches légales s'offrent néanmoins aux propriétaires souhaitant intégrer cette charge de manière conforme au droit. Ces méthodes permettent de concilier le respect du cadre réglementaire avec la nécessité pratique de gérer équitablement les coûts énergétiques associés au logement.
La méthode du loyer charges comprises consiste à incorporer directement dans le montant du loyer une estimation des dépenses énergétiques, sans les détailler séparément dans le contrat de location. Cette approche globale présente l'avantage considérable de la simplicité administrative tant pour le propriétaire bailleur que pour le locataire.
Les principaux avantages de cette solution sont :
Une simplicité de gestion sans suivi mensuel ou annuel des consommations
Une prévisibilité budgétaire totale pour le locataire
L'absence de risque d'impayés sur des factures d'énergie fluctuantes
La suppression des démarches de mise en service et de résiliation de contrat
Néanmoins, cette méthode comporte des inconvénients significatifs :
Un risque élevé de sous-estimation des coûts réels, particulièrement en période d'inflation énergétique
L'impossibilité d'ajuster le montant en cours de bail hors de la régularisation annuelle légale du loyer
Une déresponsabilisation potentielle du locataire concernant sa consommation électrique
Pour mettre en place cette solution, le propriétaire doit prendre plusieurs précautions :
Réaliser une estimation précise basée sur les historiques de consommation du logement
Anticiper les hausses tarifaires dans le calcul initial
Préciser explicitement dans le bail que le loyer inclut une provision pour l'électricité
Réviser périodiquement l'estimation lors du renouvellement du contrat
Cette méthode est particulièrement adaptée aux locations meublées de courte durée ou aux petites surfaces dont la consommation est relativement stable et prévisible.
La méthode de facturation forfaitaire consiste à établir un montant fixe mensuel ou annuel correspondant à une estimation des dépenses d'électricité, distinct du loyer mais non modulable selon la consommation réelle. Cette approche intermédiaire offre davantage de transparence que le loyer charges comprises tout en conservant une simplicité de gestion.
Pour calculer équitablement ce forfait, plusieurs critères peuvent être pris en compte :
La surface du logement (prorata au m²)
Le nombre et la puissance des équipements électriques présents
L'historique des consommations antérieures
Le profil d'occupation (nombre d'occupants, présence en journée)
Les données statistiques de consommation pour un logement comparable
Cette méthode s'avère particulièrement pertinente dans plusieurs cas :
Logements sans compteur individuel mais avec caractéristiques homogènes
Baux de moyenne durée ne justifiant pas l'installation d'équipements de mesure spécifiques
Situations où la prédictibilité des charges est importante pour le locataire
Sur le plan juridique, il est essentiel que ce forfait soit clairement distingué du loyer dans le contrat de bail et qu'il soit présenté comme une contribution aux charges plutôt que comme une refacturation directe de l'énergie. Le montant doit être raisonnable et correspondre à une estimation sincère de la consommation moyenne.
La facturation au réel représente la méthode la plus équitable mais aussi la plus complexe techniquement. Elle consiste à répercuter exactement les coûts d'électricité consommée par le locataire, sur la base de relevés précis et réguliers du compteur électrique.
Cette approche nécessite plusieurs conditions préalables :
L'existence d'un compteur individuel ou divisionnaire permettant d'isoler précisément la consommation du logement
Un système de relevé régulier (mensuel ou trimestriel)
Une transparence totale sur les tarifs appliqués
Pour mettre en œuvre cette méthode tout en respectant le cadre légal, le propriétaire peut :
Obtenir une autorisation écrite du fournisseur d'énergie pour la revente d'électricité
Facturer strictement au prix coûtant sans aucune marge bénéficiaire
Fournir systématiquement les justificatifs des consommations relevées. Cette obligation de transparence s'applique à toutes les charges récupérables, pas seulement l'électricité. Apprenez les étapes complètes pour régulariser les charges récupérables et éviter tout contentieux avec vos locataires.
Prévoir une clause spécifique dans le bail mentionnant ce mode de facturation
Les avantages de cette méthode sont nombreux :
Une parfaite adéquation entre consommation et facturation
Une responsabilisation du locataire vis-à-vis de ses usages énergétiques
Une protection du propriétaire contre les surconsommations imprévues
Une transparence totale dans la relation locative
Malgré sa complexité technique et administrative, la facturation au réel reste la solution la plus conforme à l'esprit de la réglementation, car elle n'empêche pas le locataire de choisir son fournisseur si celui-ci préfère souscrire directement un contrat d'électricité.